Le chemin des dames

    Paroles et musique : Gilles Maire

    J’écrivais des chansons, des p’tit’s musiques
    J’avais un répertoire plutôt comique
    Je crois que j’allais devenir quelqu’un
    Mais en quatorze, ma fiancée en larmes
    M’a vu partir entre deux gendarmes
    Le front baissé jusqu’au front de Verdun…

    La mort dans l’âme, tremblant dans le vacarme
    Pleurant de peur, pleurant sur mon arme
    Sautant le mur, volant sur mes fémurs
    Quand j’ai voulu me faire la malle
    Au son du clairon, sous douze balles
    Je mourus, je mourus le dos au mur

    Nous les enfants de la papa de la patrie
    On se contrefout de la titi d’la tyrannie
    Quand on est étendu, sanglant sur le pavé,
    Le jour de gloire n’est pas prêt d’arriver

    Au fond d’une fosse il m’ont enfoui
    La fosse de ceux qui se sont enfuis
    Au milieu de mes amis d’infortune
    Je fleurissais le champ de déshonneur
    Quand un matin, un matin de bonne heure,
    Ils m’ont déterré sans aucune honte aucune

    C’est en défilant en levant le nez
    Qu’à l’arc-de-triomphe ils m’ont emmené
    Qu’ils m’ont acclamé comme une idole
    Moi qui rêvais d’être un chanteur connu,
    J’ai bonne mine en soldat inconnu
    Avec des osselets plein les grolles

    Moi qui rêvais de monter à Paris
    De chanter au lapin Agile d’Ari-
    -stide Bruant et de Gaston Couté
    J’aurais voulu y arriver debout
    Enflammer la Butte par les deux bouts
    Chanter l’anarchie en blouson clouté

    Pour bien m’emmerder, ils ont bricolé
    En lieu et place de mes feux follets
    Une flamme au gaz, un gros bec bunsen
    Un truc qui pue qui jamais ne s’éteint
    Les morts aiment le noir dans leur sapin
    Ou comment voulez vous qu’on reste zen ?

    Du fond de mon trou, dans le seizième,
    Loin de ces coins du Paris que j’aime
    Plusieurs fois par an, j’ les entends quand ils
    Remuent leurs épées au nom de la paix
    Remuent leurs couteaux au fond de ma plaie
    Comme quand en quatorze ils défilent

    Je crois, vu l’état du dernier poilu
    je crois que bientôt je n’en verrai plus
    Mais je crois que jusqu’à la fin des âges
    On n’a pas fini de venir me fleurir
    C’est pas demain que je pourrai dormir
    Bien en paix sur mes deux cartilages….

    Fasse que ma chanson soit un jour connue
    Que ma petite musique vous ait pas déplu
    Qu’un jour les défilés militaires
    Soient remplacés par des farandoles
    Qu’enfin on m’emmène loin des bagnoles
    Qu’auprès de ma fiancée, l’on me ré-enterre

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    Chanson sous licence Creative Common BY-NC-ND